Le jeune Zeppelin ferme les yeux tandis qu’un doux parfum de dahlias vient caresser ses narines et étire la commissure de ses lèvres. Il ouvre à nouveau les yeux et fige son regard sur une silhouette féminine, qui vacille sensuellement face à lui. Elle suit le rythme du vinyle, dans le tourne-disque. Un petit sourire malicieux s’est esquissé sur ses lèvres, alors que sa mère s’approche de la coiffeuse. Un grand miroir surmonte la console en pin massif, et elle s’y admire un instant avant d'y apercevoir son fils, et de lui lancer un clin d’œil. Elle ouvre finalement son bâton de rouge et l'étale soigneusement sur ses lèvres. Zeppelin admire ses longs cheveux ébènes qui tombent en cascade dans le dos. Silencieusement, il admire la beauté étourdissante de la femme qui l’a conçu. Cette moldue qui a fait tourner la tête de son père et qui à présent fait battre son cœur à la chamade. Elle est éblouissante de charme, et tandis que sa voix accompagne l’air jazzy qui flotte autour d'eux, Zeppelin en est sûr, la Terre s’est arrêtée. Lentement, sa mère se retourne, mais avant qu’il ne soit enfin face à son visage, elle s’évapore dans un nuage de fumée. De nouveau confronté à sa solitude, Zeppelin a huit ans et les larmes lui montent aux yeux. Il sait parfaitement que Dolorès ne reviendra pas, et pour tout dire, ce moment de complicité mère/fils a été confectionné de toute pièce par son imagination. S'il ne parvient pas à voir son visage, c'est qu'il ne s'en souvient pas. Perdu à jamais dans l’océan de son esprit, brouillé par les années et la douleur lancinante d’avoir perdu ses parents. Zeppelin a envie de hurler, mais il se contient. Comme toujours, l'enfant reste interdit, gelé dans sa propre terreur. Il ferme à nouveau ses yeux humides et, au moment où il les rouvre, la chambre de sa mère a disparu. Elle a laissé place à la bibliothèque de son oncle où il s'est assoupi.
« Oh mais tu es là ! Je te cherchais partout. » Ajax lance un sourire à peine perceptible à son neveu. Il a pris l’habitude de le chercher dans son grand manoir : ce n’est pas le genre de gamin à crier ou à semer la pagaille. Il lui arrive parfois de se faire si discret qu’Ajax en oublierait presque sa présence. Il retire l’album que son neveu tient entre les mains et le ferme sans y jeter un œil. Au vu de sa petite mine il sait parfaitement ce qu’il regardait, et d’ailleurs il se sent un peu gêné. Il n’a jamais vraiment su quoi lui dire sur ses parents depuis qu’il l’a recueilli, et Zeppelin ne lui a jamais rien demandé non plus. Etrangement, si le dialogue n’est que partiel entre l’oncle et son neveu, ils se comprennent et se suffisent l’un à l’autre. Parfois il n’y a pas besoin de mots pour dire à l’autre toute l’importance qu’on lui porte. On sait, c'est tout. « Et si je t'apprenais un nouveau sort aujourd'hui, qu'est-ce que tu dis de ça ? » Le visage de Zeppelin s'illumine.

Il ignore comment c’est arrivé. Un accident, c’est ce qu’il lui a dit. Un jour, et comme chaque soir, son oncle est rentré de Sainte Mangouste et il s’est assit dans le grand salon. Il a demandé à Zeppelin de venir près de lui et il lui a dit : « Il y a eu un accident. » et puis il s’est tu. Déjà, son regard semblait perdu dans le néant, et tandis que son neveu cherchait à capter son attention, il comprit. Il ne verrait plus. Ni les dessins qu’il ne faisait que pour lui, ni son visage qui s’apprêtait pourtant à changer avec l’adolescence. Oncle Ajax était devenu aveugle, et aveugle il resterait. Si de coutume, Zeppelin se serait contenté de rester auprès de lui sans dire un mot, cette fois-ci il vint se blottir contre son torse et de serrer ses bras autour de lui. Pour la première fois, ils partageaient une étreinte de coeur à coeur, autre que juste une main dans les cheveux ou une tape sur l’épaule. Un câlin comme un fils en ferait à son père. Cela faisait déjà cinq ans qu’ils vivaient ensemble et leur relation avait eu le temps de mûrir, et voilà qu’à présent l’oncle qui lui avait tant apporté était victime d’un drame. Après tout, c’était peut-être à son tour de s’occuper de lui ? Et quand bien même il se perdait dans la brume de ses pensées, il aperçut une ombre se faufiler à l'extérieur du manoir. Galenn les quittait donc. C’était un homme blond d’environ vingt-cinq ans, un écervelé pour lequel Zeppelin n’avait jamais éprouvé le moindre sentiment… Mais il savait qu’il ne laissait pas Ajax indifférent. Approchant sa bouche de sa joue, il lui murmura doucement : « Ce n’est pas grave, oncle Ajax. Moi je ne te laisserai pas. » Et alors qu’il prononça ces mots qui signifiaient bien plus qu’ils ne le laissaient entendre, il resserra encore un peu son étreinte autour de lui.

Un Dimanche soir comme un autre chez les Maxwell, du moins en apparence. Comme dans beaucoup de familles anglaises, cette soirée du vingt-cinq Décembre 2008 a une odeur spéciale. Celle du pain d’épices à la cannelle que les elfes de maisons prépare tranquillement dans leur cuisine. Pourtant si on fait abstraction du parfum envoûtant du dîner à venir, personne ne devinerait qu’il s’agit-là d’un réveillon de Noël. Le manoir est vide de toute décoration, pas plus enjoué qu’en plein mois de Février, et surtout, Ajax comme Zeppelin sont tous deux affairés à des tâches usuelles. Ils sont assis l’un à côté de l’autre, Ajax avec un essai de divination en braille entre les mains, et son neveu avec son iPod sur les oreilles et un sudoku version sorcière. Autant dire qu’un silence de ouate règne dans la pièce, et comme souvent le médicomage ne le supporte pas longtemps.
« Qu’est-ce que tu fais ? »
« J’écoute de la musique et je finis ma planche de sudoku. Ton bouquin est intéressant ? »
« Plutôt, oui. La théorie des chiffres impairs à double tranchant dans l’Arithmancie, je t’en ai parlé hier. »
« Ah, c’est vrai, je m’en souviens maintenant. »
« Pourquoi ne mets-tu pas ta musique dans le tourne-disque ? »
« J’écoute du rap, oncle ‘Jax. »
Un long silence s’installe entre eux, avant que le sorcier adulte ne se décide à répondre.
« Du rhapp, encore du rhapp ! Mais il y a tellement mieux que cette horreur ! Tiens, passe-moi mon violon ! »
Sourire en coin, Zeppelin se lève du divan et va chercher l’étui de son instrument, posé près de la cheminée qui crépite. Il revient après en avoir extrait son violon et prend sa main pour qu’il le tâte et le maintienne entre ses doigts. Mettant son sudoku magique et son appareil moldu de côté, il se met finalement en tailleur face à son oncle et attend patiemment qu’il se mette à jouer. Il est clair que la différence avec ce qu’il écoutait quelques secondes auparavant se fait sentir. Ajax a cette manière si sensuelle et supérieure de jouer, qui éclipse tout autre mélodie en quelques notes. Du Chopin, il sait parfaitement que son neveu adore l'entendre jouer du Chopin, et c'est toujours le sourire aux lèvres que Zeppelin l'écoute faire le virtuose. C'est tellement agréable, mais ça ne dure qu'un temps. À la fin de la musique, Ajax pose son violon au sol et fait signe à Zeppelin de se rapprocher de lui.
« D'ailleurs, j'allais presque oublier ! Est-ce qu'il est minuit ? »
L'adolescent jette un oeil à la pendule.
« Non, oncle ‘Jax. Il est vingt-heures trente-deux. »
Ajax hausse les épaules.
« Peu importe, demande à Laslow d'apporter ton cadeau. »
« Ne t'en fais pas, je peux toujours attendre. »
« Non, j'ai dit maintenant ! C'est le moment idéal. Laslow ! »
Avant même qu'il n'ait eu le temps de rétorquer à nouveau, l'elfe arrive paniqué dans la pièce.
« Qu'y-a-t-il, Maître ? »
« Le cadeau de Zeppelin, tout de suite ! »
La créature disparaît dans le couloir et réapparaît quelques secondes plus tard, les bras chargé d'une immense guitare électrique. Une Fender flambant neuve. Magnifique.
« Voilà, Maître. »
« Joyeux noël, mon grand. J'espère que c'est ce que tu voulais. »
Zeppelin reste bouche-bée face à l'instrument. C'est absolument ce à quoi il a pensé tout le mois de Décembre, mais jamais il n'a formulé la demande. Les dons de légilimancie de son oncle l'étonneront toujours, et il rit intérieurement à l'idée qu'il fouille constamment son esprit, même après toutes ces années. Mordant sa lèvre inférieure de plaisir, il fait signe à l'elfe de lui donner la guitare qu'il manipule comme un bijoux. Retournant s'asseoir près de son oncle, il lui donne un léger coup de tête à l'épaule et un baiser sincère sur la joue.
« Elle est sublime, encore plus belle que je me l'étais imaginé. Un rouge très vif et un manche long, les cordes sont bien fines ça va donner ! Tiens regarde. »
Il prend une fois de plus sa main et le laisse tâter l'instrument qu'il vient de lui offrir.
« Hé bien, à présent tu as de quoi me divertir. Il va falloir développer tes propres talents de musicien. »


C’est une après-midi ensoleillée qui s’annonce à Poudlard, d’autant plus appréciée qu’elles se font rares en Ecosse, en ce mois de Janvier 2012. Une laine chaude sur le dos et une écharpe aux couleurs de sa maison, Zeppelin profite des rayons de l’astre sur les gradins vides du terrain de Quidditch. Comme souvent, il est en compagnie d’Allison, la tête tranquillement posée sur ses genoux. Il lui réexplique ce cours d’Histoire de la Magie qui lui a échappé, mais la petite cinquième année s’endort déjà dès le début de son récit. Sourire en coin, il repose son manuel et ferme les yeux un instant, dans l’espoir de profiter de la brise qui fait virevolter les cheveux de la blonde face à lui. Mais à peine a-t-il le temps de souffler de sa lecture de l’épisode de la révolution des goblins qu’un cognard vient le frapper en pleine face, et que la Gryffondor sur ses genoux se réveille en sursaut. Elle sort sa baguette, aux aguets, et hurle soudainement : « Locomotor Wibbly ! » Lentement, Zeppelin revient à lui tandis que les élèves de sa maison tournent autour de lui sur leurs balais, le regard fier. « Il est où ton oncle, Maxwell ? » « Alors comme ça les moldus ça te fait tripper ? Hein, sale sang pur, tu les aimes ces vermines ! » « Elles foutent bien le bordel à Poudlard pas vrai ! » « Retourne chez ton oncle, freak ! » « Allez vous faire foutre, espèce d'hippogryffes décérébrés ! » lance Allison d’un air menaçant –qui n’impressionne personne, malheureusement. « Laisse tomber Ally, ça leur passera. »
Zeppelin passe une main sur la bosse qui vient de se former sur son front et grimace un sourire à sa jeune amie. Déjà, les autres vert et argent prennent la fuite. « Je te comprendrai jamais, Zep. Pourquoi est-ce que tu ne ripostes pas ? » « Ca dépend contre quoi. » « Ou qui ! En plus, t’as même pas le sang pur, tu devrais leur dire. » « À quoi bon ? » « Pour faire cesser les rumeurs ! » « Ecoute, on est en Janvier, d’ici Juillet je serai loin d’ici, et loin d’eux. C’est tout ce qui compte, je vais achever mes études avec des O dans toutes les disciplines, et quand ces bombabouses me mangeront dans la main ils verront. » Elle croisa les bras et fit une moue boudeuse. « T'es si pressé de me quitter ? » Lâchant enfin la bosse sur son front, il vient l'entourer de ses bras et embrasse calmement son crâne. « Ohé on va pas commencer à pleurer ! » « Certainement pas ! Bon, en tous cas on oublie l'option Histoire de la Magie, tu m'as assommée ! »