La mère d'Enola n'avait pas vraiment la fibre maternelle. C'était tout juste si, justement, elle ne traitait pas Enola comme un vulgaire chien. Une bâtarde. Conçue hors mariage, hors des lois de l'église. Dans le péché. Elle l'a élevée jusqu'à ses six ans, dans un luxueux appartement de Londres, parce qu'il lui était impossible de faire autrement. Avorter était hors de question: c'était impropre à la famille de cette femme. Descendante d'un aristocrate fortuné, sa mère vivait pour l'argent et l'éducation de cette gamine ingrate qui pleurait à chaque petite frappe sur son joli visage de poupon. Elle rejetait sur elle toute la haine qu'elle avait pour son père. Alternait entre amour débordant et période de violence psychotique. Jusqu'à ce jour là, ce jour terrible où, emportée dans sa colère, dans l'aveuglement, elle avait frappé Enola jusqu'à ne plus s'arrêter.
C'est le majordome qui l'avait trouvée, baignant dans son sang, en plein milieu de sa chambre. Exactement là où Lexzandra l'avait laissée. Elle avait six ans. Trois côtes brisées et une hémorragie interne. Elle en garde une cicatrice sur le côté de l'abdomen. Celle de l'opération. Celle où elle a frôlé la mort. Elle avait passé un mois et demi à l'hôpital, par la suite, sous surveillance policière. Un homme, en uniforme et tout et tout. Enola ne voulait pas avoir affaire à des femmes. La seule personne qui pouvait l'approcher était ce policier qui avait été devant sa porte vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant un mois et demi. Un mois de silence, un mois de rage intérieure. Où elle avait sourit à peu près autant de fois qu'elle avait pleuré: c'est à dire jamais. Elle n'en voulait pas vraiment à sa mère. Juste à elle. De ne pas être assez forte. D'être la victime. D'être celle qu'on peut frapper, parce qu'elle était sale, parce qu'elle était insolente, parce qu'elle n'était pas assez bien. C'était comme ça. Mais ça ne le serait plus jamais. Elle avait juré ça, sur ce qu'elle avait de plus précieux: sa fierté. Elle n'avait jamais vraiment compris ce qui déclenchait de tels accès de rages chez sa mère. Elle avait toujours pensé que c'était ça, l'amour. Puisque c'était la seule chose qu'elle connaissait. Et puis il y avait eu son père.

Ce n'est pas qu'Enola n'aime pas son père. C'est qu'il n'a jamais rien fait pour la sauver. Ce jour là, elle a cessé de s'appeler Alice. C'était le prénom que sa mère lui avait choisi, pour faire d'elle ce qu'elle voulait qu'elle soit. Mais jamais plus elle ne serait cette enfant faible, plus jamais elle ne serait la victime. Peu de personne osaient l'appeler Alice. Peu de personne savaient, en vérité, que son prénom était Alice.
Avec son père, tout a été différent. Les premiers mois, surtout, ont été difficiles: il lui avait fallu apprendre le Français, intégrer une nouvelle école, un nouvel appartement, une nouvelle chambre. Partager son quotidien avec quelqu'un qu'elle n'avait vu que trois fois dans sa vie.Et puis lui, il avait refait sa vie. Avec une femme. Et un fils. Le demi-frère d'Enola. Leur relation a toujours été complètement alambiquée, à eux deux. Un jour, ils se comprennent, l'autre, ils se haïssent. Ils peuvent passer une nuit entière dans les bras l'un de l'autre, lorsqu'il y a de l'orage, puis ne pas s'adresser la parole. C'est sans doute Enola, qui a instauré cette relation. Sans le savoir, sans trop le vouloir. A l'amour à la haine. Lui aussi, a mangé des bonbons, ce soir là. Il est là, quelque part, dans Poudlard. Ils sont juste trop différents. Maintenant que la magie coule dans leur veine, ils sont d'autant plus dangereux l'un pour l'autre. Mais on entendra parler à nouveau de la fratrie Desnos. Ce n'est simplement pas le moment. (Scénario à venir, cependant)

Enola a vécu ces dernières années comme on passe un péage. Elle n'était pas renfermée, juste....froide, calculatrice. Et elle avait toujours cette peur des gestes brusques que personne n'a jamais pu comprendre. Que tout le monde faisait semblant de ne pas remarquer. Personne ne l'a vue pleurer. Et Matteo l'a vue. Il lui a parlé. Il a essayé d'aller au delà de son apparente froideur. Au delà de sa méchanceté inconsciente. Mais elle l'a moyennement laissé faire. Même si elle appréciait d'être avec lui. Après tout, ce garçon était son espèce d'échappatoire. Ils lisaient ensembles. Elle avait toujours espéré qu'il l'embrasse. Elle avait quinze ans, c'était normal. Et puis il y avait eu le 20 Décembre. Les pouvoirs. Les souhaits qui se réalisent. Elle aurait pu faire en sorte qu'il l'embrasse, qu'il l'aime, qu'il soit pour elle unique au monde et qu'elle soit pour lui unique au monde. Mais c'aurait été tricher, non? Qu'on se le dise: le lycée, c'est terrible. Son premier amour avec Matteo a été violent. Passionnel. Fusionnel, même. Elle a aimé beaucoup, trop fort, trop vite, et c'est là qu'elle a compris ce que sa mère voulait dire quand elle disait "Quand tu perds quelqu'un que tu aimes, c'est comme si on t'enlevait une partie de toi-même". Elle a eu mal, d'ailleurs. De cette frustration de ne pas pouvoir le toucher. Les fourmis au bout des doigts, le cœur qui bat à cent à l'heure. On n'est pas sérieux, quand on a quinze ans, et pourtant ça donne envie de se jeter contre les murs, pour tenter d'avoir mal ailleurs. Mais il faut croire que toutes les belles choses ont une fin.

Enola est une fille qui aime la vie. Comment fait autrement, après avoir approché la mort de si près? Ça se voit dans son rare sourire, dans ses gestes, sa manière de parler, sa manière de vivre aussi. Pleinement. Comme si chaque jours pouvait être le dernier. Et ce sourire semble si sincère, si communicatif.... Mais il est faux. Elle joue très bien la comédie du « je vais bien ne t'en fais pas ».Ne lui demandez pas ce qu'elle porte comme sous-vêtements, elle aura déjà oublié. En amitié, comme en amour, elle se laisse détester, parce qu'il est bien plus facile de tenir les gens éloignés que de les laisser entrer dans sa vie. Lorsqu'elle ne contrôle pas les choses, Enola panique, et lorsqu'elle panique, elle est d'autant plus dangereuse qu'elle en devient férocement violente. Enola déteste son image, et celle qu'elle renvoie aux monde. Ses yeux gris foncés, froids et perçants, sont aussi beaux que dangereux. On y décèle parfois un grain de folie qui ferait flipper les profiler. Mais qui s'y attarde trouvera une profonde détresse. Elle se tient toujours très droite, le menton très haut, pour cacher qu'elle n'a pas tant d'assurance que ça. Il est plus simple d'être une petite peste mesquine et cruelle que de montrer ses sentiments. Elle a tendance à dire les choses telles qu'elle les pense sur le moment mais jamais pour les choses importantes. Embrasser un garçon parce que la courbe de ses épaules l'a émue, ou parce qu'un geste maladroit l'a touchée. Se lier avec quelqu'un parce qu'elle lui trouve une certaine détresse, ou parce qu'elle a simplement de l'admiration pour elle. Cesser de parler à quelqu'un pour les mêmes raisons. Bouder. Aimer. Haïr, le plus souvent.