Joyce & Némésis

Geste vif, sec, elle griffe ses couvertures, arrache, défait et s'extirpe péniblement du lit. Dans un long grognement agacé, elle déblatère un nombre improbable d'insultes plus moldues les unes que les autres. Les couettes vertes émeraudes tombent sur le sol, l'adolescente, encore dans les vapes après une nuit acharnée à tourner dans le lit, bâille assez bruyamment pour se réveiller elle-même. Devant le miroir, elle grignote son ongle trop grand, fourrage ses cheveux pailleux et constate le t-shirt déchiré, trop grand, taché qu'elle porte -à qui c'est ? Elle l'enlève, le jette au sol, file sous la douche, en ressort avec un air guilleret, sifflotant. Elle passe nerveusement un ensemble moldu trop coloré, trop agressif au regard. Elle s'en fiche. Avec ses doigts, fourre le t-shirt dans le short trop court, trop haut. Évidemment, Némésis se regarde dans le miroir, le sourire niais, glousse un peu dans ses mains, embrasse son reflet et s'envole sur la pointe des pieds, les ballerines trop légères pour qu'elle appuie ses pas sur les carreaux d'ardoise.

« Enfin. » elle piaille en mettant un pied hors de la salle commune, détectant le moindre élève avec ses iris verts. Personne. Elle hausse ses épaules dans un geste à peine déçu, file avec grâce vers les cuisines, danse docilement en passant près des tableau, chantonne, tire sur ses boucles à l'occasion. Son short la tiraille, elle agite sa baguette, rend le tissu plus doux, moins urticant. Gloussante, elle défile devant un public inexistant, ses cheveux étouffants, gonflées comme un halo autour de sa tête de fouine. La blonde tombe nez à nez avec une gamine de première année, lui adresse un rictus niais et se baisse pour lui dire de filer avant qu'elle ne la croque. Qu'elle est douce. Le regard suiveur, elle attend que la gamine soit hors de sa vue. Baisse un instant la tête vers ses pieds, sourit, relève la tête et court jusqu'aux cuisines. Voilà qu'elle a faim, peut-être qu'en se levant plus tôt, elle aurait pu jouir d'un petit-déjeuner convivial. Elle voulait dormir, faut comprendre.

« POUSSEZ-VOUS. » elle piaille de sa voix de gamine affamée, chope le premier truc qu'elle a sous la main sous le regard presque apeuré de certains elfes, énervé d'autres, admiratif des plus cool. Selon elle. Jamais elle ne ressemblera autant à un raton-laveur déluré, avec sa tranche de pain entre les mains, portée à sa bouche grignotant chaque morceau avec une minutie alarmante. L'esprit vide, elle se fiche du temps qu'il fait dehors, elle reste dans le château aujourd'hui. Personne ne la blâmera de ne pas avoir sorti son museau du grand château. Non, pas de révisions, la 6è année, c'est l'année vacance. Pas de camarades dans le château : Pré-Au-Lard, merci. Elle guette tout de même, les yeux pétillants de malice, à l'affût du premier visage adorable qu'elle trouvera à câliner avec douceur. Elle fait fuir les gamins, câline ses potes.

Avec plaisir, elle aurait bien lâcher lourdement son corps fluet sur l'herbe dans un soupir efféminé. L'envie de jouer l'en empêche : il faut qu'elle traque, qu'elle fasse jouer, qu'elle secoue et qu'elle se fasse mal, physiquement, moralement, peu importe. Elle aura pleins de bisous. Elle trottine, presque avec une élégance artistique, joue avec ses jambes monte les escaliers en traînant, s'appuie sur les rampes, glisse pour mieux remonter, fait claquer sa langue, lance des regards amusés. Elle s'ennuie, la pauvre. De loin, elle aperçoit, Joyce. Elle glousse, bruit imperceptible : elle va la choper, au détour du prochain couloir. Puis elle file, rapide comme l'éclair. La demoiselle est d'humeur taquine, pour changer, elle berce dans son monde, la mignonne. Elle voudrait voler là, mais c'est cool la magie. On peut voler sur des balais, c'est tout ? Elle court encore plus vite, le pas toujours feutré par les semelles douces de ses ballerines oranges, le sourire mutin. Elle ne fait ni cas des représailles, ni cas de l'état moral de sa victime. Elle se marrerait presque bruyamment, si ça ne compromettait pas sa connerie. Dans sa tête, c'est bien clair, elle DOIT rire, elle DOIT craindre pour finalement pardonner avec délicatesse. Joyce, la pauvre moldue devenue magique, elle lui doit bien ça. Voilà qu'elle pense des bêtises. Ouais, Némé, elle aide tout le monde : dans son monde où un regard ferme une blessure, un câlin sauve une vie.

La respiration, saccadée, par l'excitation, par amour pour son idée, pour faire genre, j'ai couru un marathon, j'suis trop un loup. Le dos contre le mur, elle guette l'ombre, avec ses yeux trop grands pour être inexpressifs. La Poufsouffle approche dangereusement, alors elle saute devant elle et rugit comme une tarée en griffant l'air avec ses ongles rouges rongés. Qu'est-ce qui lui a pris ? Elle se marre comme une gamine, fière de passer pour une décalée. Elle n'a pas de limite, elle serait capable de lécher la joue de Joyce, si celle-ci ne la fixait pas avec un air qu'elle n'arrivait pas à cerner. Tant pis, elle feint l'innocence, pince les lèvres et se balance sur ses pieds ; talons. Orteils. Talons. Orteils. Au fond d'elle, elle veut une réaction. Un truc qui la sortirait de son ennui du jour. Allez Reagan, tu peux le faire.

Un jour, elle changera de nature. Elle brandira des cailloux pointus, un os dans les cheveux, des peintures sur le visage. Mais pour l'instant, elle se trouve assez effrayante -ou plutôt, étrangère aux coutumes originelles. C'est tellement orgasmique d'être à côté de la plaque en permanence.

« Non, pas maintenant, c’est trop tôt. »

Je posais mon coussin sur ma tête, ne voulant pas sortir de mon lit. Mais Pandora était tenace et tirait sur mon pied droit en me répétant qu’il était temps que je sorte car il y avait entraînement. Pas entraînement de Quidditch avec Franky mais entraînement avec Pandora pour quelques sorts. Il était trop tôt selon moi cependant mon amie ne voulait rien entendre. Si bien que dans le quart d’heure qu’il a suivi, j’étais debout et habillée, prête à aller faire un tour dans la Grande Salle pour manger mon petit-déjeuner.

J’imaginais facilement ma tête : de grosses cernes, le teint un peu blanc, une mine endormie. Je devais faire peur. La journée commençait bien dis donc. De quoi mettre tout de suite de bonne humeur. Et ce, un week-end. Hier matin encore, je pensais avoir tout prévu : dormir jusqu’à pas d’heure, profiter du soleil et ne rien faire du tout à part me faire plaisir. Penser à moi pour changer. Peut-être même faire un peu de Quidditch ou aller embêter Eliott. Mais je n’avais pas envie d’aller à Pré-au-Lard dans tous les cas. Puis Pandora était arrivée comme une fleur dans la salle commune, à insister lourdement sur le fait qu’il fallait que je m’entraîne à maîtriser d’autres sortilèges. Et qu’elle était volontaire une fois encore pour m’aider. Je ne pouvais pas refuser et puis, c’était une bonne idée. Même si ça remettait en cause tous mes plans et que ce soir, je serai couchée à l’heure des poules. Je m’étais résignée, elle avait sauté de joie en guise de victoire.

Me voilà hors de mon lit, trainant la patte pour aller m’habiller, me rafraîchir un peu et me diriger vers la Grande Salle pour le petit déjeuner. Pandora était déjà partie devant, me laissant au calme dans le silence de la Salle Commune des Poufsouffle. Comme je les enviais, à tous être en train de dormir. Mais j’avais accepté, et je devais dire adieu à mon planning de week-end pour de bon. Il me restait qu’à espérer que je pourrais dormir demain. Ou alors d’un plan pour ne pas me faire réveiller à l’heure des poules. Existe-t-il un sort contre ça ? Je méditerais ça tout à l’heure.

Deux heures s’étaient écoulées entre le moment où je partais pour manger mon Petit Déjeuner et maintenant, dans une des classes vides du deuxième étage. Deux heures où je n’avais pas chômé, à revoir des sorts défensifs comme offensifs. J’étais fatiguée mais contente. Finalement, malgré ma fatigue, je maîtrisais désormais plus de choses qu’avant, me rapprochant un peu plus de mon but d’être vraiment une sorcière. Faisant ainsi oublier aux autres que j’étais il y a encore quelques mois une moldue, ne se doutant pas de ce monde de magie.

Mon amie décida que le cours s’arrêtait là. Je vis dans son regard son envie de me demander si demain je voulais retenter l’expérience mais vu ma mine fatiguée, elle n’a pas osé formuler sa question. J’avais besoin de dormir alors elle me laisserait tranquille pour le week-end. Elle partit avant moi, ayant plusieurs choses à régler selon ses dires, tandis que je sortais tranquillement, ne faisant pas du tout attention aux personnes autour de moi. Non pas qu’il y en avait beaucoup mais elles pouvaient facilement me bousculer sans que je m’en rende compte. Je n’avais qu’un seul but : aller me recoucher. Tant pis s’il était trop tard, je voulais le réconfort de mon lit. Et ce que je voulais éviter m’arriva.

Entre Némésis la Poursuiveuse de Serpentard et moi, ça n’avait jamais été le grand amour. Non pas qu’on en arrivait à se détester non plus mais je n’avais jamais réussi à la cerner. D’ailleurs, je me demandais bien qui pouvait réussir à cerner cette fille. Elle était complètement décalée, hors norme. Pour se donner un genre, pour se différencier. Et cela lui faisait plaisir d’embêter les gens ou de leur faire peur. Cette fille, elle voulait être crainte et aimée en même temps à mon avis. Elle voulait faire la différence. Mais en soi, elle n’était pas méchante, juste… Barge. Seulement, je la craignais tout de même. Elle me faisait peur, à toujours être pas très sympa avec moi. A me menacer de me balancer le Souaffle en pleine tronche si Poufsouffle gagnait ou des trucs du genre. Et à chaque fois, je me taisais. Je ne disais rien, j’encaissais. Je devais vraiment pas faite pour m’entendre avec des Serpentards. Entre mon « parrain » complètement cinglé qui faisait peur aux trois quarts de l’école, Némésis et Graham, tous deux dans l’équipe de Quidditch de leur maison d’ailleurs, j’étais bien lotie.
Une chose était certaine : je ne voulais pas voir Némésis là maintenant, tout de suite. Sauf qu’elle trainait visiblement au deuxième étage et qu’elle m’avait vu arriver. Puis s’était dit que de me faire peur serait drôle. Pour elle, évidemment. Alors que généralement, j’aurais laissé couler, là je ne pouvais pas. C’était plus fort que moi. Tout ce que je voulais était qu’on me laisse tranquille jusqu’à demain. J’étais à bout, je voulais me reposer. Et il fallait bien que j’explose un jour. Puis débarquer devant mon chemin en me faisant peur et en… Montrant des griffes, ça ne passait pas.
Elle feignait encore l’innocence alors que je sentais la colère monter. Puis sortir.

« Putain mais c’est quoi ton problème à la fin Ingram ? Sérieusement, là tu me fais plus chier qu’autre chose. Je t’ai fait quoi à la fin pour que tu t’en prennes à moi constamment ? »

Je n’en avais strictement rien à faire que tout le château m’entende. Quitte à ne pas avoir tout ce que je comptais faire du week-end, je pouvais au moins me permettre de régler un truc qui me prenait le chou. Au moins un.

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