La nuit était déjà tombée depuis longtemps sur le paysage gallois et Jeffree s’était retrouvé quasiment seul dans la bibliothèque. Saluant d’un sourire le dernier Serdaigle qui s’en retournait à sa salle commune le jeune homme soupira de soulagement en sentant la vieille porte en bois massif grincer derrière lui. D’un coup de baguette il alluma la radio à un volume assez bas pour que ne résonne qu’une musique d’ambiance et s’afféra à attraper une pile de bouquins à ranger. Il était plutôt de la vieille école, à aimer faire ce genre de taches à la main, feuilletant chaque livre singulier avant de le reposer à sa place sur une étagère. Cela faisait maintenant quelques semaines qu’il était arrivé à Hogwarts sous ce nouveau masque de bibliothécaire et, il fallait le dire, il commençait presque à se plaire dans le rôle. Il avait fini par croiser de nombreuses têtes connues au cours de ses années de barman et à adopter une routine plutôt plaisante. Entre les matchs et entraînements de bat’n’fly avec Elias, les escapades dans la forêt avec Gregory, l’exploration du château avec certains élèves et sa relation avec Lisy qui semblait avoir pris de la stabilité, Jeff n’avait pas vraiment de quoi se plaindre. L’ancien gryffondor avait même redécouvert les plaisirs des escapades en solitaire dans les cuisines. Quelle merveille… Parfois il se sentait redevenir ce garnement qui a onze ans découvrait d’un regard émerveillé toutes les splendeurs de ce château.
A l’équilibre sur une échelle qui surplombait les rangées d’étagères Jeffree ouvrit un livre qui avait été corné. D’un coup les pages se transformèrent en une énorme gueule d’animal et le livre tout entier lui sauta à la figure. Maladroit le bibliothécaire glissa en arrière, perdant son appui. Le choc fut relativement douloureux mais il eut à peine le temps de lâcher quelques jurons que l’ouvrage repassait à l’attaque. Sautant par réflexe sur ses deux pieds il résolut le problème de la manière la plus primitive et la moins conventionnelle qui s’offrait à lui : un large coup de pied alla projeter la bête plus loin. Jeff jura avoir entendu une plainte de douleur. Un putain de bouquin, bordel. Foutue magie. Le jeune homme tira sa baguette de sa poche et régla vite fait bien fait l’affaire en scellant l’objet avant de le renvoyer à sa place sur l’étagère. Endolori il se massa le bas du dos avant de se recourber pour rattraper les divers manuels éparpillés lors de sa chute et de les reposer sur une table plus loin. Il se sentit soudain puni par l’entière bibliothèque pour son trop plein de plaintes. Comme si, à l’instant même où il se décidait à signer une trêve et accepter sa condition de bibliothécaire avec philosophie, toute cette magie avait décidé de se retourner contre lui. Tendant l’oreille il se rendit compte avec joie que la radio venait de capter une fréquence moldue et que des faibles enceintes s’élevait… « I’m walking on sunshine, wooo-oooh… » Un sourire se glissa sur ses lèvres et Jeff chantonnait tranquillement le refrain quand il entendit la porte de la bibliothèque grincer à nouveau. Sans même prendre la peine d’éteindre la musique il lança un « On va fermer, faut revenir demain ! » d’une voix qui lui sembla complètement déraillée. Sentant que la personne ne sembla pas prendre en compte sa remarque il poussa un long soupir et se craqua les doigts prêt à aller faire sa fête au petit plaisantin qui osait remettre en cause son autorité. Ou peut-être était-ce Lisy ? Curieux il passa simplement sa tête hors de la rangée pour avoir une vue globale sur la bibliothèque.
Choc.

S’il avait été l’un de ces personnages de dessins animés moldus caricaturaux, on aurait aisément pu voir sa mâchoire tomber par terre. Alors que la musique tournait encore au fond de la salle Jeff écarquilla un peu plus des yeux avant de se redresser et sortir d’une démarche complètement boiteuse – reliquat de la chute – et hébétée – reliquat de rien du tout – de derrière ses étagères. « Bonnie ? » maiquestufoulà faillit-il ajouter élégamment. Bonnie. Bonnie Bridges. Bonnie sa pote du bar ! La maladroite Bonnie. « Bonnie Bridges par Merlin c’est bien toi ! » quelle remarque stupide. Mon Dieu il se sentit tellement crétin, lui qui n’utilisait jamais des expressions comme « par Merlin » se retrouvait maintenant à parler comme un parfait couillon. Entre la surprise et l’étonnement un sourire se glissa sur ses lèvres « T’as vu la musique qui passe en plus ? C’est marrant quand même ! » Oui Jeff, c’est marrant… Finissant par se rapprocher un peu plus d’elle le Darlington sentit enfin cette énorme boule se nouer dans son estomac à la pensée de la dernière fois où il avait vu Bonnie. Il se sentit complètement pris au piège et se mordilla la lèvre avant de finir par tenter une approche moins engourdie. Devait-il lui faire la bise ? Jeffree se passa une main sur la nuque, soudain terriblement gêné. « Mais, qu’est-ce que tu fais là ? » Bonnie. Il ne put s’empêcher d’être heureux de la revoir tandis que la pensée d’une Lisy entrant dans la bibliothèque à l’instant lui glaça le sang.

L’apparition de Bonnie à la bibliothèque donna simplement l’impression à Jeffree que son arrêt de mort avait été signé. Nerveux, un espèce de soubresaut d’angoisse le saisit et il dut un instant baisser le regard. Des palpitations intenses semblaient s’être emprises de tout son corps et son cœur battait si fort qu’il pensa qu’il allait frôler l’infarctus. C’était comme si chaque cellule de son être tout entier avait décidé de livrer une bataille contre son immunité, le rendant si faible et vulnérable qu’il aurait presque préféré être déjà six pieds sous terre. Le jeune homme s’accrocha un instant à une table, priant pour que ce bourdonnement gênant dans ses oreilles ne cesse, afin qu’il y voie plus clair. Ce bourdonnement… De la simple musique. Merlin, qu’il se sentait con. Toute cohérence et lucidité semblaient l’avoir quitté, laissant son esprit en proie à la déraison et la paranoïa. Aussi il ne tarda pas à s’imaginer Lisy franchir les portes de la bibliothèque – sans doute alertée parce qu’il tardait à se montrer à leur rendez-vous habituel – et le prendre la main dans le sac avec Bonnie. Malgré la scène complètement anodine il lui semblait évident qu’en les voyant Lisy saisirait d’instinct le secret qu’ils partageaient. Sa vie était finie.
Evidemment, tous ces sentiments avaient défilé en une mince fraction de secondes, puisque la Bridges ne sembla pas un instant avertir son malaise. Jeff releva le visage, tentant enfin d’arborer un mince sourire. « Je suis venue dans l’intention de te tuer, sisi, avec Kovu on a tout prémédité » Le bibliothécaire se rendit enfin compte de la présence du husky aux pieds de sa maîtresse. Il s’accroupit, gratifiant d’une large caresse affectueuse le chien. « Hé p’tit gars, dis-lui à ta maîtresse que c’est faux, que tu m’aimes trop pour me tuer ! » suite à l’aboiement de Kovu Jeff se redressa, haussant un sourcil qui voulait approximativement dire à Bonnie ‘hey, t’as vu, Kovu c’est mon poto à moi’. Malgré le peu de temps que Bonnie et lui avaient partagé aux commandes du même bar, il ne pouvait nier qu’ils avaient passé du bon temps. La maladresse de la Bridges la menant souvent dans des situations improbables, il leur était souvent arrivé de terminer des soirées autour d’une bonne pinte, à blaguer et rire des évènements. Il en ressentit même un élan de nostalgie, comprenant à quel point la simplicité de son existence pendant ces courtes semaines avaient pu le rendre heureux. Mais comme il faut toujours un imprévu pour noircir le tableau, la culpabilité ne tarda pas à balayer d’un revers violent tous ces souvenirs agréables. Si seulement… « Non, en vrai je venais lire mais… Oh ! I used to think that maybe you loved me, now I know that it's true ! And I don't wanna spend my whole life just a waitin' for you ! Danse avoir moi Jeff ! » En un rien de temps il se retrouva collé à Bonnie, dont les mains s’étaient glissées autour de son cou. Le rythme de la musique s’était accéléré, laissant place à leur passage préféré, aussi malgré tous les frissons que ce contact rapproché avec la Bridges pouvait lui évoquer, le jeune homme ne tarda pas à chantonner à son tour les paroles. Merlin, que c’était bon néanmoins, de retrouver une amie.

Un grincement de porte. Jeffree s’écarta brusquement de Bonnie. Une seconde plus tard il se sentit terriblement honteux lorsqu’il comprit que ce qui avait fait monter à mille sa paranoïa n’était que Kovu. L’husky s’amusait dans un coin de la bibliothèque et avait fait bouger une table, dont le raclement sur le sol avait été interprété par le bibliothécaire comme une entrée théâtrale de Lisy. Pris sur le fait. Non par Lisy, mais par Bonnie, qui le regardait désormais d’un air interloqué. Mon Dieu, pourquoi s’était-il fichu dans une telle situation ? Après des années de fidélité à Lisy, d’amour fou, de sentiments concrets et déclarés, pourquoi était-il tombé dans ce piège si profond ? Il n’était pas ce genre de gars et ne l’avait jamais été. Comment avait-il pu succomber au plaisir charnel avec la Bridges ? Et putain, pourquoi se posait-il autant de questions ! Fuyant et lâche face à l’interrogation implicite de Bonnie, Jeffree se retourna, s’éloignant de quelques pas – et v’là la main nerveuse qui se rabat sur sa nuque, décidément, ses tics le trahiraient toujours –. Feignant toujours, il attrapa l’un des bouquins qui étaient tombés précédemment au sol et le déposa sur l’une des tables. On aurait dit un vil Serpentard, incapable d’affronter les faits. « Désolé » lâcha-t-il, daignant enfin faire face à la rouquine. « C’est que, j’étais surpris… En fait, ma copine travaille aussi à Poudlard et j’avais peur que ce grincement ça soit elle qui… » Jeffree et la capacité communicative d’une théière . Il agitait ses mains, incapable de terminer sa phrase correctement. Puis, se résignant il s’accroupit pour attraper un autre manuel avant de l’empiler sur le précédent. « Bref, ouais, j’ai flippé qu’elle nous voie, et qu’elle interprète mal, tu comprends ? » Bien sûr qu’elle comprend. Mais maintenant c’est le moment de faire cesser le malaise. « Bon et sinon en fait tu fais quoi ici ? T’es prof ? » Tiens, de Défenses contre les forces du mal, ce serait le comble. Allez, on tente un sourire. Subtile échappatoire, pas vrai ?